Article écrit par Kianna Gallagher.
J’ai déjà envisagé plusieurs explications à ce phénomène. Peut-être que cela est dû au fait que les poissons occupent un habitat complétement différent de celui des autres animaux d’élevage. Lorsque l’on énonce le mot “viande”, on pense directement à de vieilles fermes rouges entourées de prairies à perte de vue, pas spécialement au bleu des océans. Notre impression que les océans regorgent de ressources tellement abondantes qu’elles en sont inépuisables pourrait également être une autre explication. Peut-être aussi que cela est dû au fait que le poisson est généralement vanté comme une source de protéines relativement peu couteuse en émissions de carbone par rapport aux autres protéines animales. Bien que cela soit vrai, la capture et l’élevage de poissons et autres fruits de mer sont liés à d’autres problèmes environnementaux, rendant ces sources de protéine moins écologique que ce que l’on pourrait penser. Il est important de bien comprendre ces problématiques afin de pouvoir choisir en connaissance de cause le type de poissons que nous mangeons, ou même de tout simplement décider si nous souhaitons continuer à manger du poisson ou non. Dans cet article, je propose de vous détailler les principaux problèmes environnementaux liés à la consommation de poissons et fruits de mer.
1. La surpêche:
Nos capacités de pêche se sont grandement améliorées au fil des années. La taille, la puissance et la capacité des bateaux de pêche ont augmenté de façon drastique. L’utilisation de nouvelles technologies comme les sonars, les échosondeurs et les GPS nous ont permis de concentrer nos efforts de façon plus efficace. La mise en conserve et la congélation à bord ont également permis aux navires industriels de rester plus longtemps en mer. En plus de ces avancées technologiques, des subsides gouvernementaux ont soutenu ces pratiques de pêches non durables sous prétexte de favoriser la croissance économique. Malheureusement, ces financements alimentent souvent un cercle vicieux. Ces subsides sont effectivement fournis afin de soutenir le développement de nouvelles technologies de pêche, ces pratiques plus efficaces permettent alors la capture de plus grandes quantités de poissons et de nourriture qui, à leur tour, font diminuer les prix du marché entrainant plus de gaspillage et la diminution des revenus des pêcheurs. Au final, ces problèmes entraînent un besoin d’amélioration de l’efficacité de pêche et donc l’investissement de financements gouvernementaux pour développer de meilleures technologies de pêche. Le cycle se répète ainsi encore et encore pendant que la taille des populations de poissons diminue toujours plus, ce qui a mené, dans certaines régions, à l’effondrement complet du secteur de la pêche.
Malgré toutes ces avancées technologiques, les financements gouvernementaux et l’augmentation de l’efficacité de pêche, la quantité de poissons capturés à l’échelle mondiale est restée plus ou moins constante depuis le milieu des années 1980 (figure 1). Il apparait donc que malgré l’amélioration drastique de nos efforts et notre efficacité, la quantité de poissons pêchés n’augmente pas. Ce phénomène démontre que la pêche mondiale a atteint une limite.
Figure 1. La production de pêche s’est stabilisée tandis que la production d’aquaculture a continué d’augmenter afin de satisfaire notre demande continue en poissons et fruits de mer. Source: Rapport 2018 du FAO sur l’Etat Mondial des Pêches et de l’Aquaculture.
Selon le dernier rapport sur l’Etat Mondial des Pêches et de l’Aquaculture (2018) de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 33,1% des stocks mondiaux de poissons océaniques sont exploités de façon non durable. Cela signifie que la vitesse à laquelle nous prélevons des poissons dans ces stocks est plus grande que la vitesse à laquelle ces prélèvements peuvent être compensés via la reproduction. Il s’agit bien entendu d’une moyenne mondiale et certaines régions subissent une pression bien plus grande. Par exemple, selon le même rapport, 62,2% des stocks de poissons de Méditerranée et de Mer Noire sont exploités de façon non durable. Le sud-est du Pacifique suit de peu ces chiffres avec 61,5% de ses stocks exploités de façon non durable, suivi ensuite par le sud-ouest de l’Atlantique avec 58,8% (figure 2). Au vu de ces chiffres, il apparait indispensable de réduire notre impact sur ces stocks.
Figure 2. Source: Rapport 2018 du FAO sur l’Etat Mondial des Pêches et de l’Aquaculture.
2. Prises accessoires et méthodes destructives
Dans certaines régions, les méthodes de pêches destructives sont malheureusement assez courantes. Chacune de ces méthodes a ses avantages et ses inconvénients. Les chaluts de fond, composés d’un grand filet lesté par des poids, raclent le fond des océans et tout ce qui s’y trouve. Le chalutage de fond est généralement utilisé pour attraper les organismes vivant proche du substrat marin tels que les crevettes, le cabillaud, le sébaste, la sole ou la plie mais cette méthode capture également de nombreux autres organismes. Des environnements comme les récifs coralliens et les écosystèmes basés sur des sédiments meubles sont complétement balayés ce qui a pour effet de produire une énorme quantité de prises accessoires, c’est-à-dire des espèces qui ne sont pas la cible principale de la pêche en question. Par exemple, si l’espèce cible est la sole, tous les autres organismes également remontés par le filet seront considérés comme des prises accessoires. Ils seront alors rejetés dans l’océan probablement déjà morts ou en train de mourir.
Les palangres sont composées d’une très longue ligne (la ralingue) qui peut s’étirer sur plusieurs kilomètres et à laquelle sont suspendus de nombreux hameçons appâtés (les avançons). Les palangres ont généralement pour cible de gros poissons tels que le thon, l’espadon ou le flétan. Cependant, d’autres espèces que les espèces cibles peuvent mordre aux hameçons ce qui a pour effet de produire des quantités phénoménales de prises accessoires, en particulier des dauphins, requins, tortues marines ou oiseaux marins.
3. Nous pêchons “en aval de la chaîne alimentaire”
Il est largement admis que consommer des animaux qui se trouvent en haut de la chaine alimentaire est extrêmement inefficace. En effet, seul environ 10% de l’énergie d’un niveau trophique est transféré au niveau supérieur. Imaginons donc une chaîne relativement simple comme celle présentée ci-dessous (figure 3). Dans ce cas, les producteurs primaires (“Primary producers”), représentés entre autre par le phytoplancton (“les plantes des océans”) sont mangés par des consommateurs de premier ordre (“First order consumers”) tels que de petits organismes du zooplancton, ceux-ci sont ensuite mangés par des prédateurs intermédiaires (“Intermediate predators”) tels que des carangues (“Bar Jack”). Au sommet de la chaine alimentaire se trouvent les superprédateurs (“Top predators”) tels que les thons rouges qui se nourrissent de prédateurs intermédiaires. Si la production primaire de phytoplancton est de 1000 kilos, cela produit uniquement 100 kilos de zooplancton. Cependant, d’une façon générale, l’homme préfère manger les animaux qui se trouvent en haut de la chaine alimentaire comme le thon rouge. Ainsi, si l’on se base sur le même système, 1000 kilos de production primaire de phytoplancton ne produira que 1 kilo de thon rouge.
Cette perte d’énergie le long de la chaine alimentaire implique qu’il y aura toujours moins de prédateurs que de producteurs primaires. Les pêcheries ont tendance à exploiter les espèces au sommet de la chaine alimentaires telles que le thon rouge. Leurs populations se réduisent rapidement et l’espèce devient vite surexploitée à cause de la pression de pêche. Au final, nous ne sommes alors plus capables d’exploiter cette espèce comme nous le faisions précédemment. Nous nous rabattons alors sur le niveau en aval de la chaine alimentaire avec des espèces représentées par des plus grandes populations telles que la carangue, jusqu’à ce que ces espèces deviennent également surexploitées. Comme les principaux prédateurs deviennent de plus en plus rares, la chaine alimentaire entière est bouleversée mettant au final le système entier en danger.
4. Biomagnification
La consommation d’animaux se trouvant en haut de la chaîne alimentaire est non seulement extrêmement inefficace mais cela peut également être dangereux pour la santé à cause du phénomène de biomagnification. Ce processus se déroule lorsqu’un animal en bas de la chaine alimentaire et contenant des polluants dans son organisme est mangé par un prédateur plus grand. Comme chaque prédateur se nourrit de nombreuses proies, chacun d’entre eux accumule la quantité de polluants présente dans chacune de ses proies. Ces polluants continuent de s’accumuler au fur et à mesure que l’on remonte la chaine alimentaire. Les polluants sont donc passés d’un organisme à l’autre le long de la chaine alimentaire, jusqu’à arriver à son sommet. Les organismes au sommet de la chaine alimentaire contiennent donc le plus grand taux de polluants.
En consommant des animaux au sommet de la chaine alimentaire, nous sommes donc régulièrement exposés à des niveaux dangereux de Polluants Organiques Persistants (POPs) c’est-à-dire des substances toxiques qui ont tendance à persister dans l’environnement et à se bioaccumuler. Il est admis que certains de ces POPs comme le mercure, les DDT et les retardateurs de flammes peuvent être dangereux pour l’homme.
5. Certains des poissons que nous mangeons sont VIEUX
Il est malheureux d’imaginer que nous puissions consommer des animaux qui étaient déjà vivants avant notre propre naissance. C’est pourtant le cas pour certaines espèces ayant une grande longévité telles que l’hoplostèthe orange (ou poisson-montre). En général ces espèces longévives se reproduisent aussi beaucoup plus lentement et sont donc plus à risque d’être surexploitées. En dehors des considérations morales, un des problèmes majeurs de la consommation de “vieux” poissons est également la biomagnification: plus un poisson est vieux, plus il y aura de temps écoulé pendant lequel les polluants se seront accumulés dans son organisme. Sur la terre ferme, les animaux que nous mangeons sont généralement âgés de quelques mois voire de 1 ou 2 ans. En comparaison, le thon rouge mentionné dans l’exemple plus haut n’atteint sa maturité sexuelle qu’à 10-14 ans ce qui laisse de nombreuses années pour que les toxines s’accumulent.
Comment pouvons-nous agir?
Une des meilleures façons de réduire notre impact sur les océans est de s’orienter vers une alimentation sans poissons. Cependant, simplement réduire la quantité de poissons que nous consommons est déjà un très bon début. Pour toutes les raisons environnementales listées ci-dessus, il semble clair que nous devrions traiter les poissons ainsi que toutes les autres sources de protéines animales comme des mets raffinés plutôt que comme des aliments à consommer régulièrement.
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A propos de l’auteur: Kianna poursuit actuellement un master sur les changements globaux des océans. Elle provient de la ville d’Edmonton, bien loin du littoral au Canada mais elle a découvert sa passion pour les océans via la plongée sous-marine. Elle a travaillé sur divers projets de conservation et de recherche notamment sur le suivi des cétacés, la conservation des coraux, et en tant que divemaster scientifique.
Traduction par Amandine Gillet.
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